Depuis plusieurs semaines, une recrudescence des attaques violentes attribuées à l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) a été observée dans le bassin du Lac Tchad, particulièrement dans les zones frontalières entre le Nigeria, le Cameroun et le Niger. Ces offensives, ciblant principalement les forces armées, relèvent moins d’un phénomène nouveau que d’un repositionnement stratégique, après une période d’adaptation marquée par une rivalité avec les factions concurrentes et une pression militaire soutenue.
Un adversaire jamais vaincu

Contrairement à certaines perceptions réductrices, ni ISWAP ni la faction Jama’atu Ahlis Sunnah lid-Da’wati wal-Jihad (JAS), souvent désignée comme Boko Haram « historique », n’ont été véritablement neutralisées. Si la mort d’Abubakar Shekau en mai 2021 avait fait espérer une désagrégation durable du mouvement, elle a surtout permis à ISWAP d’étendre son emprise territoriale dans les anciens bastions de la faction JAS dans la forêt de Sambisa et les rives sud du lac Tchad.
Ces dernières semaines, des embuscades sophistiquées, des attaques contre des postes militaires et des incursions sur des axes stratégiques comme ceux menant vers le Cameroun illustrent une remontée en puissance assumée d’ISWAP. Ce regain d’activité n’est ni spontané ni localisé : il traduit une dynamique régionale beaucoup plus complexe que ce que certains prismes nationaux laissent paraître.
Le Cameroun, maillon vulnérable et cible stratégique

Dans la stratégie de Boko Haram – toutes factions confondues – le Cameroun a toujours représenté un théâtre d’opérations important, mais secondaire. C’est à la fois une zone refuge (notamment le long du Mayo-Sava et du Mayo-Tsanaga), un couloir logistique, un vivier de ressources humaines à travers les enrôlements forcés, mais aussi un terrain d’action symbolique contre un État perçu comme plus fragile et moins centralisé que le Nigeria. La zone frontalière du Logone-et-Chari et de l’Extrême-Nord camerounais offre ainsi des poches de mobilité précieuses pour les combattants.
Les récentes attaques – notamment dans les environs de Fotokol, Mora ou Tourou – doivent donc être comprises comme les manifestations locales d’une stratégie régionale : tester les lignes de défense, frapper là où la réaction est plus lente, détourner les ressources sécuritaires, et maintenir une pression psychologique constante sur les communautés et les forces de sécurité.
Une lecture régionale incontournable

Réduire l’analyse du conflit à une perspective strictement camerounaise revient à ignorer les dynamiques transfrontalières qui façonnent la résilience et la mutation des groupes jihadistes dans la région. ISWAP coordonne ses opérations à partir du nord-est du Nigeria, mais entretient des relais au Tchad, au Niger, et même au-delà.
Depuis 2019, l’organisation a évolué vers une structure plus hiérarchisée, avec un commandement plus technocratique et une logique d’État islamique embryonnaire, privilégiant les cibles militaires et institutionnelles aux massacres de masse. Cette évolution s’est accompagnée d’un usage accru de la propagande numérique, d’une gouvernance parallèle dans certaines zones (distribution de zakat, arbitrage de conflits locaux), et d’une meilleure coordination des attaques. Le Cameroun, dans cette configuration, n’est qu’une pièce d’un échiquier plus large.