Cameroun : Attention à la banalisation du tribalisme

Cameroun : Attention à la banalisation du tribalisme

Mohaman Gabdo Yahya, Lamido de Banyo, Sénateur revient sur les faits de Mbalda et Houbaré dans le département du Mayo-Tsanaga. En même temps, il attire l’attention des uns et autres sur la banalisation du tribalisme

On le retrouve désormais partout. Il est au milieu de nous. Souvent diffus, parfois manifeste. Il se diffuse dans le corps social, tel un cancer qui inéluctablement empoisonne jusqu’à donner la mort. Si la chimiothérapie appropriée n’est administrée à temps, ce cancer aux visages multiples risque de métastaser et tuer en masse des Camerounais dans un avenir plus ou moins proche.

Ce cancer c’est notre indifférence face au mal, à l’injustice. C’est notre accoutumance à l’atrocité, à l’horreur, et à toutes les formes de violences qu’elles soient physiques, verbales ou psychologiques. C’est le triomphe de la corruption, de médiocrité, de la cupidité. C’est aussi la banalisation du tribalisme, du repli-identitaire, de l’ethno fascisme. C’est même une forme d’exaltation du discours de la haine, des tribuns de la xénophobie dont certains écument plateaux de radios et télévisions, semant sans être iniquités, les germes de la division entre Camerounais.

Ce cancer, on s’en aperçoit, a des visages multiples. Mais celui sur lequel nous consacrons la présente réflexion, c’est le tribalisme – qui a déjà tué par millions ailleurs, au Rwanda, pas très loin de chez nous. Il tue encore en ce moment au Sud Soudan, et ailleurs en Afrique. Parce que le Cameroun est dit-on un « continent », ce fléau absolu risque, en raison notamment de la complexité de notre mosaïque ethnique, avoir chez nous une déflagration d’une magnitude maximale, avec des conséquences pires qu’ailleurs.

Mbalda

Le 02 mars dernier, l’horrible tragédie survenue dans la localité de Mbalda dans le département du Mayo-Tsanaga, région de l’Extrême-Nord, a non seulement donné une nouvelle illustration de la banalisation de la cruauté humaine dans notre société, mais aussi celle du discours tribal. Pour les besoins de la démonstration, restituons tout d’abord les faits.

Trois Camerounais, dont deux jeunes universitaires venus effectuer des recherches sur le terrain ont été méthodiquement torturés, tués, puis brulés. La foule hystérique qui acclamait et encourageait les auteurs de cette cruauté moyenâgeuse, croyait à tort se faire justice.

En effet, cette population victime des viols, pillages, élèvements et assassinats des agents de Boko Haram, était convaincue de tenir sa vengeance au travers de cet acte odieux. Les auteurs de cette deshumanisation, ivres de ressentiments contre le terrorisme incarné par Boko Haram, n’ont manifestement à aucun moment écouté la raison qui distingue l’Homme de l’animal. Ils condamné sommairement à morts les trois hommes sans leur accorder la moindre chance de montrer qu’ils n’étaient en rien affilié à l’ennemi : Boko Haram.

Le terrible drame de Mbalda aurait pu, et aurait dû être évité. Le Cameroun a perdu trois de ses fils, dont deux jeunes chercheurs pleins d’avenir. Cela est une tragédie supplémentaire. Nous saisissons d’ailleurs l’occasion de cette tribune pour adresser notre compassion émue à leurs familles. Nous réclamons par ailleurs, la traduction de tous les auteurs de cette barbarie d’un autre temps devant la justice.

Alors que nous en sommes encore à attendre que l’enquête ouverte fasse toute la lumière sur cette affaire, nous avons été désagréablement surpris que la ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation se fende d’une déclaration pour le moins curieuse.

Discours dangereux

De fait, le 08 mars dernier, devant ses collaborateurs, ce membre du gouvernement, s’est en substance indignée en ces termes : « nos enfants sont tués à l’Extrême-Nord, alors que la plupart des postes importants de directeurs dans mon département ministériel sont entre les mains des Nordistes ».

Un discours aussi curieux que dangereux, d’autant que l’on se demande quel lien y a-t-il entre la tragédie de Mbalda et les nominations dans le ministère dont elle a la charge ? Sauf à considérer que la foule hystérique de Mbalda avait comme mobile des revendications identitaires. Ce raccourci est clairement dangereux dans le contexte national actuel avec la montée et la banalisation du tribalisme.

Il n’est pas superfétatoire de rappeler que dans ce pays, il a été dit et soutenu par un ministre et un éminent universitaire que Boko Haram était un complot ourdi par des Nordistes. Un coup d’État pour déstabiliser le régime du Président Paul Biya. Nous attendons toujours que les auteurs de ces affabulations, fassent amende honorable devant la réalité des faits. Alors que cet épisode est encore vivace dans les esprits des populations meurtries, voici une autre insinuation tirée par les cheveux et qui fait l’objet d’une banalisation. Si non, comment comprendre qu’un responsable de ce niveau, en vienne à faire ce genre d’association improbable ?

Une foule hystérique qui lynche et tue au Cameroun. On le voit dans nos grandes villes : Douala, Yaoundé, Bafoussam, Garoua, etc… Cette justice populaire et souvent aveugle, n’est pas l’apanage de Mbalda. Peut-on raisonnablement d’ailleurs penser que ces jeunes compatriotes aient été tués simplement parce qu’ils n’étaient pas des ressortissants du Septentrion ?

La ministre en charge de la Recherche scientifique sait-elle seulement que ce sont des enfants du Septentrion qui sont enrôlés et endoctrinés via un lavage de cerveau par Boko Haram, puis renvoyés dans leurs villages pour assassiner leurs parents en guise de preuve de leur loyauté ? Cette ministre et son collègue auteur de la fallacieuse théorie du complot nordiste contre le régime du Président Paul Biya, savent-ils que ce sont des familles de ressortissants du septentrion qui sont les victimes de Boko Haram ? Que ce sont des filles et des femmes du Septentrion qui sont violées par Boko Haram ? Que ce sont les ressortissants du septentrion qui sont enlevés, torturés et tués par Boko Haram ?

Madame Madeleine Tchuente sait-elle que ce type de justice populaire que nous condamnons ne fait aucun tri sur la base de la tribu, de la religion ou du sexe ?

À preuve, le 17 mars dernier, soit 15 jours seulement après le drame de Mbalda, dans le même département du Mayo-Tsanaga, arrondissement de Hina, deux hommes présumés responsables de plusieurs enlèvements, ont été brulés vifs par les populations de la localité de Houbaré. Ces deux hommes étaient des ressortissants du Septentrion.

Cohésion nationale

Ce qui s’est passé à Mbalda le 02 mars dernier est horrible et regrettable, mais n’était en aucun cas dirigé contre une quelconque communauté. Il n’y a donc aucune raison que la ministre fasse une insinuation aussi dangereuse surtout dans une année électorale où la cohésion nationale doit être recherchée par tous.

Ce type de discours ne doit pas être banalisé, d’autant qu’il est tenu par un responsable de ce niveau. À l’être des réseaux sociaux où la diffusion (sans filtre) des messages se fait quasiment à la vitesse du son, on ne peut se payer le luxe du silence, de la non dénonciation de cette dérive langagière. Notre pays a besoin de cohésion pour bâtir sa prospérité.

DIEU nous a fait grâce d’être citoyens de « l’Afrique en miniature », avec son extraordinaire potentiel humain, sa diversité culturelle qui doit être une richesse et jamais une faiblesse. Comme le soutient à juste titre le Président Paul Biya : « Tous les Camerounais doivent pouvoir communier autour du banquet de nos patrimoines, avoir en partage le legs précieux et les héritages de nos ancêtres. De la sorte, peut mieux être façonnée la cohésion sociale et l’intégration nationale. De la sorte, seront mieux transcendés les risques de repli sur soi communautaire »[1].

Nous ne devons plus tolérer les discours qui érigent des murs entre nos communautés, alors que nous avons besoin de ponts pour aller plus vite dans notre construction nationale. Nous ne devons plus accepter ces profanations du vivre-ensemble dans l’espace public. En cette année charnière pour notre pays, nous ne pouvons-nous permettre de laisser que des gens attisent sous nos pieds, un feu ravageur qui risquerait de consumer le legs des pères fondateurs du Cameroun : l’unité national. 

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[1] Paul Biya, Pour le libéralisme communautaire, Pp 126 et 127, All Acces/Favre.

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